Parmi nos écritures de la Terre (littéralement geo, graphein), il y a les jardins. Ils rayonnent dans nos campagnes, les citadins fantasment sur eux. Les politiques aussi. A Murviel (Hérault), la commune vient d’acquérir 4000 m² à l’abandon en plein centre pour en faire un jardin partagé.
A Murviel-lès-Montpellier, le nouvel élu a de l’ambition. L’agronome Jean-Claude Mouret ne veut pas seulement des potagers limités par des grillages, mais de vrais lieux de rencontre, de détente dans des vergers, des jeux près d’une source aménagée en fontaine romaine. La jeune génération d’étudiants de SupAgro, Sreypich Sinh, Manel Farhat et Cyril Truc, va préparer la parcelle en étudiant sa biologie, enquêter chez les Murviellois.
D’où viennent les jardins ? Pourquoi sont-ils des figures idéalisées de l’espace, notamment depuis l’épisode du Covid éprouvant pour beaucoup leur désir de nature. Tous les confinés des villes rêvent de l’hortus des Romains, attenant à une maison individuelle. Une terre « plantée de végétaux » qui fait de ceux qui la travaillent des horticulteurs et un enclos qu’en Germanie on appelle le « gardinus ». L’hortus gardinus, végétalisé pour l’apparat (fleurs) ou la cuisine (légumes), n’est qu’un ancêtre du « potager » qui tient son nom du potagier, un cuisinier préparant au XIVe siècle une purée de légumes cuits dans un pot.
Ces potagers demandent une véritable science dont Olivier de Serres a écrit les prémices dans L’agriculture ou le mesnage des champs paru au temps du bon roi Henri IV. Une science en plein chamboulement avec la permaculture, dernière trouvaille agronomique de ceux qui découvrent (et améliorent) le savoir de millions d’humains qui ont travaillé leur jardin dans l’histoire avant la chimie.
Joyce Russel qui parvient à nourrir sa famille avec son jardin publie un livre qui vient d’être traduit (1). Une merveille de savoir pédagogique. Ecrire la Terre, pour elle, ce sont six bonnes raisons sous forme d’inventaire à la Prévert : se nourrir, apprendre, limiter son budget, vivre une aventure, recycler et améliorer la production.
Avec quels outils on écrit la Terre avec un jardin ? Joyce Russel en recense vingt-trois qui vont de la conservation des graines à la cuve à purin et à l’hôtel à insectes. La méthode est simple. Première étape : on se désinhibe face à la tâche. En commençant par des « plates-bandes de paresseux » (photo). Il faut se coltiner tout un vocabulaire technique avec des outils qui portent une mémoire multimillénaire. Et se frotter à une géographie (non décrite dans le livre, mais facile à retrouver sur le net) car la bêche n’est pas utilisée dans les mêmes régions que le bâton fouisseur. Il faut apprendre à bêcher (au diable, les motoculteurs), ou alors créer un « jardin de seaux » qui évite d’avoir du terrain, ou encore un jardin suspendu. Apprendre à disperser les semis, contrôler la température. Apprendre à repiquer.
Un gros morceau du savoir, c’est le sol. Connaître les nutriments, produire un compost, tirer le meilleur parti du fumier, ou du consoude « maison », une plante miracle qui récupère les sels minéraux des couches profondes du sol. Connaître les composts de feuille, les paillis. Savoir mesurer l’acidité ou l’alcalinité de la terre. Se servir des algues ou produire des engrais liquides. Protéger les plantes des maladies et effaroucher les oiseaux, éviter les insectes et les mollusques, protéger de la chaleur et, surtout, du froid, tuteurer, polliniser avec certains insectes… Quand les rendements sont là, comment les améliorer ? Quelle rotation des cutures programmer ? Comment conserver les récoltes : séchage ? silo ? cave ? confitures, pickles et pesto ? Que peut-on congeler ? Et pour l’année suivante, comment récolter et conserver les graines ?
Voilà le «paradis»
Car le triomphe devant toutes ces questions donne une saveur incomparable aux légumes. Le Paradis. Un mot issu du grec « paradeisos » qui évoque la Genèse biblique mais aussi les parcs ou les grands jardins irrigués et plantés d’arbres. Comme au temps des rois achéménides (dynastie perse des VIe-IVe siècles), on pensait qu’après la mort, on mènerait la même vie charmante qu’ici-bas.
Aujourd’hui que le savoir des jardins n’est plus vernaculaire, il se perd, se transforme, s’enrichit. Grâce à des passions de jardiniers qui prennent la plume pour transmettre leurs pratiques. L’écriture agricole de la Terre va connaître un nouveau printemps. Plus d’agronomes dans les villages. Plus de savoirs partagés sur le net. Et toujours cette même envie pour certains, de gratter la terre, d’y faire un pari sur le temps, d’expérimenter les potentialités d’un sol. Et d’en offrir les fruits avec ses proches. Le paradis, comme une figure du don.
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(1) Joyce Russel, Nouvelles technique au jardin potager, Delachaux & Niestlé, 2020
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July 03, 2020 at 04:02AM
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